Chapitre V

 

Analepses / Peuplier

 

 

 

 

Dix mois supplémentaires s’étaient écoulés depuis. La vie du Bataillon suivait son cours, avec son lot de victoires engageantes et d’échecs cuisants. Le corps armé d’exploration avait enfin obtenu les subventions nécessaires pour obtenir son propre siège, un grand immeuble en « U » situé dans le district de Yalkell à l’Ouest de Sina, et ainsi abandonner le quartier général d’investigation en mauvais état dans l’enceinte du mur Rose. Composé de trois ailes, il pouvait contenir les 300 soldats prévus, l’équipe médicale, l’équipe de recherches, les instances administratives et les écuries. Les deux derniers étages étaient réservés aux gradés et hauts gradés et une grande terrasse sur le toit de l’aile centrale surplombait le paysage. Des semaines entières avaient été nécessaires pour la rénovation de l’édifice, mais la petite forêt qui l’entourait de toutes parts en valait la peine et rappelait à tous la beauté du monde extérieur et libre. Un maigre lot de consolation au retour des missions parfois suicidaires et dénombrant beaucoup de pertes.

 

 

 

La cohésion des équipes s’était renforcée ainsi que le sentiment d’appartenance à un Bataillon légitime. La formation tactique imaginée par Erwin avait été intégrée par tous et leur popularité, bien que toujours timide auprès des habitants, avait le mérite d’augmenter légèrement à mesure que ces derniers étaient forcés de reconnaitre leur détermination et ténacité. Cependant, par mesure de précaution, le Commandant Keith Shadis gela toutes les expéditions pour un mois durant la période des impôts des citoyens eldiens pour ne pas provoquer de remouds supplémentaires sur la question de la gestion budgétaire. C’était l’occasion pour les chefs d’escouade d’améliorer les performances techniques de leurs soldats et d’augmenter les réunions tactiques pour travailler les différents scénarios stratégiques.

 

Livaï avait trouvé sa place au sein de son équipe et les caractères des uns et des autres étaient désormais acquis. Tous avaient acceptés son attitude nonchalante, solitaire et irrévérencieuse ainsi que son franc-parler acide et en réciprocité, il s’était montré bien plus complaisant, souple et attentif au travail d’équipe. Ses camarades avaient pu profiter de certains de ses excellents conseils pour le maniement de l’équipement tridimensionnel malgré ses difficultés évidentes de pédagogue. La communication avec Erwin s’était elle aussi fluidifiée et désormais, excepté une vulgarité systématique de la part du plus jeune, l’autorité et les usages n’étaient plus contredits. En dépit de la rigueur ambiante, plus personne ne doutait de l’humanité des uns ou des autres et les passés respectifs n’étaient plus questionnés . 

 

Erwin se remémorait un moment en particulier, quelques semaines plus tôt, qui avait terminé d’en convaincre les camarades du jeune homme teigneux. Un après-midi, alors que deux équipes dont celle de Livaï étaient affairées à travailler le bois fraîchement coupé dans la cour sous la supervision d’Hanji et Erwin, l’un d’entre eux du nom de Gelgar fit une chute acrobatique ridicule et se réceptionna avec l’élégance d’un pachyderme.

 

Les spectateurs, déjà épuisés par la besogne, éclatèrent de rire de bon cœur lorsqu’ils entendirent un son jusqu’alors inconnu. Sans pouvoir l’anticiper ni le contrôler, Livaï avait laissé échapper un rire clair et cristallin, mêlé à l’explosion générale. Ses voisins s’étaient d’un seul coup retournés, stupéfaits et Erwin affichait une mine amusée devant sa brutale gêne. Insultant dans sa barbe et front baissé, il était parti tout furibond prétextant se laver les mains. Le futur Commandant qui le suivait du regard se félicitait d’avoir pu assister à ça : il connaissait bien lui-même, comédien de nature, les quelques réflexes humains auxquels même les plus téméraires, stratèges ou impassibles ne pouvait se soustraire. Parmi eux il comptait le hoquet, l’effet de surprise, la maladie, les chatouilles, le désir, les phobies, le dégoût sensoriel... et les chutes absurdes.

Quelque peu attendri par ces furtives secondes de candeur et d’innocence que n’avait pu réprimer le cadet avant de reprendre possession de ses émotions, il songea qu’il ne reverrait sûrement pas son sourire et ses yeux rieurs de sitôt. Depuis leur tête à tête dans les cuisines, ils ne s’étaient plus retrouvés seuls.

 

L’intérêt maniaque d’Hanji pour les aptitudes du jeune homme avait en revanche conduit Livaï a intégrer quelques soirs par semaines leurs repas tardifs et sessions de bavardages, avec Mike et Erwin. Ils y parlaient essentiellement stratégie, politique et investigation sur les Titans. Placide, le plus jeune se contentait le plus souvent d’écouter mais il comprenait que sa présence avait sûrement son importance en tant que futur chef d’escouade. Sur bien des sujets, isolé de la vie citoyenne durant tant années, il comprenait être à la ramasse. En quelques mois, il en apprit plus à leurs côtés sur le fonctionnement de l’élite dirigeante que lors de toutes ses errances dans les pubs et cafés de la ville souterraine.

 

Ses aptitudes exceptionnelles lui donnaient cette position étrange qui l’amenait à fréquenter ses supérieurs tout en restant officiellement au même niveau que ses camarades. Il s’était fait à l’idée, d’autant que cette particularité avait permis à Livaï d’obtenir une chambre à l’avant-dernier étage dans l’aile la plus éloignée et la plus calme pour rendre moins visible ce traitement de faveur lors de ses nombreuses allées et venues tardives entre les cuisines et le salon.

 

Mike avait, de son côté, mis de l’eau dans son vin en observant la confiance tranquille qu’Erwin semblait lui accorder ; quand bien même il ne comprenait pas toujours les discussions silencieuses qui semblaient exister entre les deux hommes. Un soir dans le salon, tandis qu’il débattait ardemment avec Hanji, Livaï mangeait ce qu’il s’était préparé lorsqu’Erwin les rejoignit. En passant près de lui, il s’était saisi de sa cuillère, avait goûté sa mixture puis commenté avec un sourire « Finalement, un cours de cuisine aussi, ça aurait été bien ». Sa collègue avait confirmé à Mike dans un haussement d’épaule qu’elle ignorait ce dont il parlait pendant que le plus petit d’entre eux injuriait la famille de leur ami sur six générations.

 

C’est une nuit de juin 845, quelques jours avant la reprise des expéditions et après pratiquement un an

depuis l’arrivée de Livaï dans le Bataillon d’Exploration que leur deuxième face à face allait avoir lieu.

 

~

 

Dormant très peu, le jeune soldat avait pris l’habitude d’errer dans les différentes parties communes du nouveau quartier général et appréciait particulièrement ces moments de plénitude privilégiés que lui apportait la nuit sur le toit de l’immeuble. Composé en son centre d’un renfoncement circulaire pour y accéder depuis le dernier étage, celui-ci lui décourageait les curieux qui n’en possédait pas la clé d’y monter à leur guise. Discret, Livaï avait escaladé dès sa troisième nuit ici le parapet de sa propre chambre pour profiter de l’intimité de cet endroit. Il était difficile de s’extirper de la vie collective durant plusieurs heures et ces rendez-vous quotidiens avec l’horizon endormi lui étaient précieux.

 

 

Parfois, il entendait les hauts-gradés y discuter et attendait le retour à leur chambre pour y monter à son tour. Le plus souvent, il s’allongeait sur un des renforts de pierre suspendu au dessus de la forêt et se laissait gagner par le sommeil de longs instants ; de très rares fois, c’était les premiers rayons du soleil qui le réveillait de justesse. Dormir dans une pièce fermée lui était insupportable et seule la sensation d’être libre l’apaisait suffisamment pour le détendre. C’était également l’occasion pour lui d’accepter ses pensées vulnérables, de les laisser remonter à la surface de temps à autre, à l’abri des regards . Il pensait à Furlan et Isabel en fixant la fine ligne bleutée au loin, qui séparait le paysage du ciel .

 

Mais cette nuit fraîche de juin vers deux heures du matin, ce ne fut ni l’apparition du jour ni son esprit qui le réveilla. Il ouvrit lentement les yeux, fixant le tapis d’étoiles, sans bouger.

 

Une mélodie.

 

 

 

La plus belle parmi toutes qu’il eu jamais entendu mais surtout, des sons émanant d’un instrument qu’il ne parvenait pas même à imaginer. Le plus discrètement possible, il se redressa, protégé par l’ombre de la tour à sa gauche, pour trouver la source de cette incroyable harmonie. Il lui semblait y entendre une voix désincarnée, une infinie douceur mêlée de nostalgie, de tristesse et de beauté. Les notes s’échappaient dans le ciel et il se demandait de quel esprit inconscient provenait cette initiative, sur le toit d’un bâtiment militaire.

 

L’auteur provenait de sa droite mais il lui fallait sortir de sa cachette pour le voir. Redoutant de stopper la musique par sa présence, il prit un moment pour se rasseoir le long de la façade poreuse et, repliant  ses genoux sous son menton, son regard trouble vint scruter le sol. Le moment demeurait suspendu et il lui semblait quitter ce toit, cette ville, ces murs, cette existence. Il ignorait par quel miracle une telle symphonie pouvait être perceptible pour l’être humain mais, militaire ou non, démon ou citoyen infiltré, il ne pouvait se résoudre à interrompre ce florilège de sensations qui l’assaillaient de toutes parts. Quand bien même eût été la Mort en personne qui serait venue le cueillir, il ne l’aurait arrêtée.

 

Subitement, ses poils se hérissèrent, ces yeux perlèrent et son cœur accéléra. Peut-être qu’une telle forme d’esthétisme finirait par le tuer, finalement. Les titans, la pauvreté, la ville souterraine, Mitras, le Bataillon ; tout lui semblait si loin désormais. Il visualisait malgré lui les visages rieurs de ses amis et sa vie jusqu’ici menée. Le caractère sublime de ce qui parvenait à ses oreilles atteignait presque la limite du supportable.

 

Tout à coup, comme si la Lune elle-même l’avait entendu, la musique s’arrêta .

 

Un froissement et ce qui semblait être une matière très rêche grinça. Maintenant, il savait où se positionner après son déplacement pour observer le musicien sans être repéré. Ayant atteint une colonne situé dans l’angle des deux ailes, il s’avança, scrutant le toit opposé.

 

 

Désabusé, ses épaules s’affaissèrent et son visage se raidit.

 

Erwin

 

Chassant rapidement ses récentes pensées, il jura. De tous les humains disponibles pour le transporter dans cette dimension sans précédent, il avait fallu que ce soit lui. Découvrir son identité fit basculer Livaï d’un pôle émotionnel à un autre en quelques secondes. Il s’adossa cependant à la paroi, curieux.

 

Son collègue était de dos et bien que portant un épais pull noir et un pantalon gris, il reconnut sans mal l’éclat blond de ses cheveux et son dos massif. Assis sur la balustrade épaisse, ses jambes étaient suspendues dans le vide. Tout à coup, l’observé porta un objet luisant et biscornu, probablement en bois, jusqu’à son épaule gauche. Il le positionna avec lenteur, baissa légèrement la tête puis actionna une tige étrange de sa main droite, qu’il frotta contre l’instrument.

 

La mélodie reprit, dans un tout autre registre. Le rythme était rapide et les notes, allègres, semblaient vivantes Livaï décida de se rapprocher davantage, cette fois-ci à seulement quelques mètres de distance et positionné en biais. Les vibrations sonores couvraient le bruit de ses pas. Il réalisa que ces mêmes vibrations étaient elles-mêmes masquées par la brise assez forte qui emportaient les notes dans la nuit épaisse, raison pour laquelle Erwin avait sûrement décidé d’en profiter.  Posant un genou à terre, il scruta l’instrument. L’objet dont émanait la sourde plainte quelques minutes plus tôt ressemblait à ces guitares de fortune qui circulaient dans les bas-fonds mais le principe était de pincer les cordes pour apprécier une résonance. Ici, l’objectif semblait de les effleurer avec une infinie douceur ou méticulosité. Traversé à nouveau de ce frisson unique, son attention se porta sur le joueur. 

 

Ses mouvements très fluides et ondoyants pour atteindre les cordes étaient d’une élégance que Livaï ne lui aurait jamais accordé. Tout à coup, continuant sa litanie, Erwin se leva sur la balustrade en fixant l’horizon puis il bascula son corps de l’autre côté sur le sol de la terrasse. Son subordonné eu juste le temps de se cacher dans un renfoncement.

 

Ce dernier assista alors une scène dont il se souviendra longtemps.

 

Les sourcils froncés et les yeux tantôt fermés ou ouverts sur les cordes, Erwin augmentait au fur et à mesure la cadence. Ses pieds d’abord solidement ancrés sur la pierre, son buste plongeait vers le sol et son bras tournoyait puissamment avec une dextérité déconcertante, comme si il contractait une peine insoutenable. C’est alors qu’il se mit à tournoyer sur lui-même à mesure que le rythme prenait de l’allure, ses cheveux dorés virevoltant le long de son visage dans le vent nocturne.

 

 

La mélodie gagnait toujours plus de vitesse, d’exigence.

L’instrument tout entier semblait hurler, furieux.

Le temps s’était suspendu, tout autour de lui. 

 

 

Livaï retenait son souffle, ce qu’il percevait dépassait l’entendement : une variation magnifique, subtile et ingénieuse de sons plus différents les uns que les autres, s’accordant dans une entente presque inespérée. Quelque chose de terrible et profond émanait de ce morceau, une saveur universelle de sentiments humains, plus exacerbés les uns que les autres. Sans savoir comment il pouvait en statuer, l’ancien bandit prenait conscience d’observer un virtuose, transcendé d’un feu ardent et intraitable. Les notes semblaient sortir de son esprit lui-même et l’instrument, être une prolongation évidente de son corps. Certains sons très aîgus s’extirpaient douloureusement et Erwin se suspendait alors dans une lenteur décuplée et fantasmagorique, amorçant son bras avec une douceur extraordinaire, avant de reprendre sa course effrénée.

 

Son regard parfois semblait exprimer un gémissement sincère puis l’instant suivant, une sévérité intimidante. Livaï voyait ses longs doigts danser dans une vertigineuse chorégraphie. Ses iris très claires semblaient orchestrer d’une volonté de fer le moindre de ses mouvements, la moindre tension des cordes, la moindre ouverture. Sa silhouette dansant dans la nuit semblait ensorcelée, se consumant dans les flammes d’un brasier immense. Ses tempes pulsaient, les veines sur ses mains tremblaient de nervosité et sa respiration peinait parfois à suivre.

 

Puis dans une ultime salve prodigieuse, son dos s’arqua pour lentement se déployer vers le ciel, le visage niché dans les hauteurs. Semblable à une jouissance trop longtemps amorcée, un grand sourire apparut, la blancheur de ses dents ressortant au clair de cette lune devenue chanceuse. « Un magnifique sourire » pensa Livaï, interdit.

 

Ses bras retombèrent et l’homme baissa la tête. Seul son souffle, encore très saccadé, s’échappait de sa bouche entrouverte. Son poing se referma doucement sur sa poitrine encore battante puis ses lèvres esquissèrent à leurs commissures un dernier sourire volé à la nuit.

 

Livaï fût pris d’un grand sentiment de honte et de pudeur.

 

A quel moment très intime du Commandant venait-il d’assister, à l’insu de ce dernier ? Ne venait-il pas de franchir, malgré lui, la porte la plus personnelle de son jardin privé?

 

Dans un même temps, il en était encore abasourdi. Pas une seule seconde il aurait envisagé cet homme sous cet angle, capable d’une telle sensibilité et grâce ; mouvant avec aisance ce corps si grand et épais, projeté dans cette fiévreuse transe.

 

Il eu l’impression d’apercevoir ses facettes les plus pigmentées, les plus enfouies. Lorsque ses doigts endiablés pianotaient, habilement supervisés par son regard impénétrable et intense, Livaï comprit qu’il s’agissait là de son vrai visage. Il jouait de cet infernal instrument comme il jouait sa vie. D’une main d’acier, guidée par une vision globale et une volonté intraitable. Jamais encore le jeune homme n’avait vu un regard comme le sien, une force de caractère écrasante comme la sienne. Il eu la brutale confirmation que cet humain, du nom d’Erwin Smith, était bien plus qu’un enrôlé. Il y avait dans cet esprit quelque chose d’immense et presque monstrueux tant cela semblait friser le génie.

 

Livaï voyait les vies de ses camarades remplacer les cordes maniées sans ménagement, il apercevait les Murs dans les courbures de cet étrange instrument, ainsi que toutes les conventions sociétales flotter autour comme autant de matière à manipuler pour obtenir la mélodie désirée.

 

Dans cette tige fine et austère, il y sentait l’objectif authentique et précieusement dissimulé de cet homme mystérieux. Il songea alors avec une sensation nouvelle que, si lui aussi devait tomber un jour, l’idée qu’il s’agisse d’une note de cet incroyable compositeur pouvait être réconfortante. Bien qu’il ignore le but précis de ce chef d’orchestre, ce qu’il avait entendu cette nuit dépassait toutes les horreurs du monde et s’inscrivait dans une beauté subjugante renvoyant tous les combats humains au rang de velléités insipides.

 

S’il fallait mourir dans ces conditions pour défendre l’humanité, sous le joug impérieux de l’Art et des résonances humaines les plus troubles, alors ainsi soit-il.

 

Son existence pourrait au moins avoir eu le mérite de côtoyer, même subrepticement, des sommets rares et parmi les plus élevés. Mais Livaï souhaitait savoir : dans quel genre d’ivresse singulière Erwin les emporteraient-ils tous ? Quel était le Requiem qu’il s’efforçait de jouer en silence ?

 

 

Celui que personne ne devait entendre .

 

 

Retraçant sa silhouette, il avait désormais du mal à reconnaître son supérieur. Difficile de l’imaginer à nouveau affublé de cet uniforme grotesque, de cette stature creuse. Comment le supportait-il au quotidien ? S’il avait déjà soupçonné l’homme de se représenter avec une frustration contenue et l’existence de coulisses en marge de cette comédie, il ignorait cependant totalement que les coulisses en question étaient aussi grands et sombres. 

 

Il eu subitement envie de lui poser la question. De dévoiler sa présence, de l’agripper par le col et de le coincer entre quatre yeux. De le menacer une seconde fois si nécessaire. De le suspendre dans le vide ou de le taquiner de sa lame tranchante qui ne le quittait jamais si cela lui permettait d’obtenir enfin la vérité. Il était admiratif d’un tel homme mais supportait parfois mal d’ignorer le destin qu’il lui réservait, comme un vulgaire outil bien sage et docile. Cependant, cette admiration avait raison de ses réserves et il préférait stratégiquement patienter pour conserver sa place hiérarchique privilégiée.

 

« Tu analyses les situations très rapidement et à l’avance par rapport à tes adversaires, tu comprends très vite. » lui avait-il dit le jour de son arrestation .

 

Il se demandait si son supérieur avait conscience d’être encore bien en deçà de la vérité et s’il soupçonnait les interrogations de Livaï ; mais un an ne s’était pas encore écoulé depuis qu’il avait quitté les bas-fonds, il ne souhaitait pas abandonner cette liberté durement acquise.

 

C’est alors que le vent souffla plus fort, emportant un chiffon contenu dans l’étui de l’instrument. Faisant brutalement volte-face pour le rattraper, Erwin découvrit la présence de Livaï. Un long moment de silence s’ensuivit, accentué par le bruit des feuilles dans les arbres alentour. Déjà redressé, le plus jeune des deux hommes fixait l’autre sans expression aucune. Que pouvait-il faire, s’excuser ? De quoi exactement ? D’avoir grimpé le mur de sa chambre ou compromis la solitude de son supérieur ?

 

Erwin ouvrit lentement la bouche, le dévisageant pour être sûr de l’avoir bien reconnu puis se ravisa à dire quelque chose. Il posa son instrument sur le parapet et se dirigea vers lui. Arrivé à son hauteur, il le dépassa sans rien dire pour ramasser le chiffon quelques mètres plus loin.

 

 

A son retour, il lui dit simplement d’un ton neutre, sans le regarder,

avant de se rasseoir sur la balustrade : « Toujours pas sommeil ? »

 

 

Il n’y avait ni animosité ni réprimande dans sa voix, aussi Livaï décida de s’asseoir à son tour, à quelques mètres de lui.

 

« Toi non plus apparemment . Belle énergie au passage… »

 

« […] »

 

Erwin fixa son cadet du coin de l’œil . Il ne se doutait pas que ce dernier réussirai à escalader jusqu’ici et regretta son choix de l’avoir placé à un étage aussi proche du sien . « La prochaine fois, je songerai au sous-sol » pensa-t’il. Il ne pouvait lui en vouloir et après s’être défoulé de la sorte, son humeur s’était radoucie. Après tout, Livaï aussi devait être venu ici trouver un peu de quiétude et d’apaisement. Il remarqua que ce dernier ne cessait de fixer l’instrument posé entre eux, avec une curiosité extrêmement palpable. Sans réfléchir davantage, le blond prit la pièce en bois par le manche et, sans un mot, la lui tendit. Très hésitant, il s’en saisit néanmoins avec une infinie précaution, ce qui fit sourire le haut-gradé.

 

« Il est pas hanté tu sais »

 

« Sacré sorcellerie quand même … »

 

« Tu n’en as jamais vu.. ? C’est un violon. »

 

 

Il observait Livaï appréhender lentement l’engin, l’analysant sous toutes ses coutures, silencieusement. Son index effleurait délicatement la surface vernie et ses mains réempruntaient les courbes boisées puis il le souleva au-dessus de son visage, le faisant tournoyer doucement. Erwin lui trouvait un côté attendrissant et pur lorsqu’il s’efforçait de comprendre quelque chose, comme un enfant. Sans qu’il ne s’en rende compte, il montrait son visage doux et calme qu’il arborait face aux belles choses. Son supérieur avait déjà remarqué qu’il appréciait les choses raffinées, avec cette contradiction qui le caractérise de ne jamais chercher à en profiter lui-même. Ses plats fades et sans saveur continuaient d’en témoigner en dépit de son accès désormais autorisé à la chambre froide des cuisines. Seules exceptions qu’il semblait faire, le thé noir et une hygiène de toutes les exigences.

 

Il remarqua que le soldat frissonnait sous sa simple chemise blanche et sa nuque dénudée alors il pensait se lever et partir pour l’inciter à en faire de même et rejoindre sa propre chambre mais ce dernier fixait désormais l’étui situé à ses pieds . L’archet, bien sûr.

 

Il voulait essayer c’était évident. Son regard bleuté le fixait avec cette appréhension sauvage habituelle, qui l’empêchait de demander implicitement quoi que ce soit qui puisse inclure un soupçon de sensibilité. Leurs yeux communiquèrent un moment puis dans une gestuelle très lente, il lui montra comment manier l’archet et le poser sur les cordes.

 

Livaï semblait vouloir fuir la situation ou injurier à tout moment par réflexe mais sa curiosité insatiable l’emportait sans cesse. Finalement, il extirpa de l’instrument trois sons dans une concentration si intense qu’Erwin se retenait de rire, comme s’il craignait d’en voir surgir un monstre. Puis tout à coup, pour la toute première fois, il lui communiqua une demande, subtilement. Son regard s’était affaissé sous la fatigue et il semblait s’être décidé intérieurement à faire quelque chose. Il prit l’archet et le violon dans ses mains et, plutôt que de les reposer sur la balustrade ou dans l’étui, il les tendit doucement à Erwin en le regardant étrangement… avec une certaine pudeur.

 

« Il veut que je joue … »

 

Comment donc un homme capable de massacrer froidement plusieurs dizaines de Titans, de répandre sans scrupules le sang des siens dans une ancienne vie criminelle et d’ordinaire si vulgaire avec ses collègues pouvait-il encore exprimer autant de pudeur sur la moindre de ses requêtes? C’est un mystère qu’Erwin ne résoudrait jamais. Dans son cas, bien que stratège, il n’hésite pas à éprouver sa colère, son incompréhension, son amusement ou ses envies lorsqu’il le souhaite.

 

Décontenancé et ne sachant que choisir, l’homme blond avait saisi les objets tendus, les avaient longuement regardés en semblant réfléchir. Livaï regretta son geste et s’apprêtait à quitter les lieux pour ne pas l’embarrasser lorsqu’Erwin redressa le visage et entama la troisième symphonie de la nuit.

 

Un genou relevé et l’autre jambe au-dessus du vide, Livaï avait posé sa tête sur le côté et regardait les abîmes opaques en écoutant. C’était plus fort que lui, il voulait en entendre davantage en étant si près. Le joueur, perturbé mais s’efforçant de garder sa prestance, plantait ses yeux à l’orée du bois. Après tout, ils y passeront certainement tous deux, tôt ou tard, sur le champ de bataille alors pourquoi éviter à tout prix ces moments humains ? Pouvait-il disposer de la mort de quelqu’un d’aussi utile et lui refuser un plaisir fugace aussi simple ?

 

La mélodie, lancinante, douce et d’un rythme très lent et suave, contextualisait bien l’heure tardive et l’imminence du couché pour deux soldats qui devront se lever aux aurores. La dernière note s’évapora avec légèreté et Erwin se tourna vers Livaï. Sa main droite retenait son genou replié et une autre était venue couvrir une large partie de son visage, ses yeux partiellement camouflés entre ses doigts. Il ne bougeait plus et semblait vouloir que l’instant s’éternise.

 

Le voyant ainsi ému, Erwin brisa le silence :

 

«  J’étais dans le même état la première fois que j’ai entendu mon grand-père en jouer. Il y a des armes puissantes en ce monde, mais celle-ci fait partie des plus grandes. […] Au fond, c’est aussi pour ça qu’on se bat. »

 

« Pour faire chier tout un régiment la nuit ? »

 

Souriant, le Commandant commença à ranger son instrument et colophaner l’archet. Livaï, à nouveau muré dans le silence, se saisit lentement de la petite boite dans laquelle résidait une résine ambrée et translucide. Il essaya de deviner sa composition en la humant et fermant les yeux. « Un vrai animal » soupira intérieurement Erwin. Cette fois-ci en revanche, il lui sembla que son subordonné entrevoyait de peu à peu changer d’attitude et d’assouplir son caractère. C’est ainsi que Livaï posa enfin, de façon implicite, une question qui n’avait pas de lien avec sa mission de soldat.

 

Il aura fallu onze mois de service pour y parvenir.

 

« Il n’y en a pas dans Sina, Rose ou Maria… cet arbre, je ne le reconnais pas. Qu’est ce que c’est ? »

 

« Du pin. C’est un résineux à feuilles en aiguilles et des cônes en écailles en abrite les graines. »

 

« On en trouve où ? »

 

« […] à l’extérieur, à proximité du Mur Maria. »

 

« Comment a-t-on pu s’en procurer la résine ? L’écrin de la boite semble vieux et les expéditions sont récentes dans l’histoire de l’humanité. »

 

« […] C’est une bonne question, qui en soulève encore bien d’autres. Comme je te l’ai dit, cet instrument appartenait à mon grand-père et tout est d’origine. A mesure que nos investigations avancent, des incohérences de ce genre apparaissent mais il n’y a pas d’enquêtes officielles alors ne pose pas ces questions ouvertement . »

 

« Qu’est-ce que tu sous-entends… ? »

 

« Plusieurs personnes dont mon père avaient déjà débuté des recherches…mais ce n’est pas la priorité. La division d’investigation étudie les Titans, pas la botanique. Donc pas d’enquêtes, c’est tout . »

 

Livaï marqua une brève pause et dissimula sa stupeur. Il n’avait pas rêvé. A l’instant, Erwin avait discrètement émit un tic nerveux après avoir prononcé « mon père ». Une fissure minuscule s’était immiscée à son insu mais elle n’était pas passée inaperçue aux yeux du jeune soldat. Quand le moment opportun viendrait, il ferait de cette faille une brèche ; jusqu’à comprendre les intentions intimes de ce leader. Si son supérieur n’avait pas eu peur de se trahir, il lui aurait intimé l’ordre de ne pas en parler, il le sait. Que ce dernier ne s’inquiète pas, il resterait discret ; mais l’heure venue, il ne le louperait pas.

 

Avoir amorcé un début de confidence sur le sujet, pour s’être finalement ravisé et avoir abruptement conclu la conversation, signifiait que sa garde s’était baissée quelques secondes, jugeant Livaï fiable ; à moins qu’il ne s’agisse de la fatigue. Ce n’était donc qu’une question de temps. Méthode douce ou forte, le jeune homme de vingt deux ans percerait le secret qui semble emplir le dernier étage de cet édifice.

 

Détournant ainsi la conversation, Erwin sorti de sa poche un petit carnet relié de cuir en rapprochant sa lampe à huile. Il le tendit à l’autre homme qui l’ouvrit, suspicieux. C’est surpris qu’il découvrit plusieurs dessins de toutes natures : architecture, oiseaux, ingénierie civile... Les différents thèmes étaient séparés par des attaches et plusieurs feuillets volants entrecoupaient les pages remplies de notes techniques. Il lui présenta une page où figurait plusieurs feuilles d’arbres. Les dessins étaient précis, méticuleux et très esthétiques. 

 

 

« J’ai pris l’habitude de recenser les observations extérieures dans ce carnet que je garde sur moi. Les équipes d’archivages font le reste mais l’actualisation des programmes éducatifs ou ouvrages spécialisés n’est pas encore envisagée. Voilà une feuille de pin, juste là. »

 

Livaï parcourut la page et ses inscriptions qui y figuraient puis à la surprise de son auteur, plongea son nez dans la reliure.

 

« Et ça…c’est du peuplier. Intéressant. »

 

« Donc tu renifles tout… je comprends ton obsession pour la propreté maintenant. J’ignorais que tu savais lire l’eldien classique. »

 

Erwin avait inscrit dans ses notes, à côté du dessin de cet autre arbre, son utilisation générale et souligné entre parenthèses que les feuilles de papier du carnet lui-même avait été produites à partir du bois de peuplier.

 

« Tiens donc, un petit sauvage échappé des bas fonds qui sait lire…étonnant hein. »

 

Livaï referma brutalement le carnet et le reposa sur la cuisse d’Erwin, amorçant son départ.

 

« Ne le prends pas mal. […] Que je sache, il n’y a pas d’écoles dans la ville souterraine et la population y parle l’eldien courant sans maitriser l’eldien littéraire. Dans les murs, une majorité des habitants ne le comprend pas non plus. Qui te l’a enseigné ? »

 

 

Le questionnement était sincère et sans jugement alors le jeune homme s’arrêta un moment et finalement apporta une réponse :

 

« Je l’ai appris tout seul.. avec Furlan. On a pu se procurer quelques manuels au marché noir. On voulait comprendre les ficelles et trouver une activité convenable pour dissimuler nos trafics, une fois montés là-haut. Savoir c’est s’adapter. S’adapter c’est survivre. Voilà »

 

En finissant sa phrase, une pointe d’amertume et de tristesse était perceptible. Erwin pencha la tête à 90° pour le regarder de biais, semblant en proie à un dilemme intérieur puis soudain, il ramassa rapidement ses affaires et lui ordonna de le suivre dans sa chambre.

 

« Il débloque… ? » s’interrogea Livaï en serrant discrètement son poignard dans la poche de son pantalon .

 

 

Leurs pas résonnaient dans les couloirs obscurs et froids de cette grande bâtisse et le silence fut de mise tout le long du trajet. Livaï repensait à ce qu’il venait de voir et d’entendre sur ce toit, à ces sensations nouvelles et cette découverte absolument inattendue. Il s’appliqua à dissimuler le fait d’être perturbé par l’homme qui marchait à ses côtés.

 

Finalement, ils arrivèrent au bout d’un couloir, devant une petite porte fraîchement repeinte et Erwin l’ouvrit, l’invitant à rentrer. Jamais encore le cadet n’était entré dans la chambre d’un haut gradé et pénétrer dans la sienne en particulier était vraiment la dernière de ses envies.

 

Heureusement, l’endroit était impeccablement nettoyé. Cependant, il avait immédiatement noté la propension de son supérieur au désordre et à la négligence avec ses affaires . Son bureau croulait sous les lettres et les registres, plusieurs bouteilles d’alcool formaient des cercles sur la table basse et sa garde robe civile était de moitié renversée sur le canapé. Contrastant avec cette légère pagaille, il observait la présence particulière de nombreux objets anciens et de belle manufacture. Son lit était revêtu d’une épaisse couverture pourpre finement brodée dont les reflets satins bravaient la semi obscurité de la pièce. De grandes armoires en verre étaient disposées sur les murs latéraux et abritaient de nombreux ouvrages, des objets d’arts et des liqueurs onéreuses.

 

«  Si savoir c’est survivre, j’apprécierai que mon meilleur élément ne se retienne pas . » 

 

A peine franchi le seuil de la porte, Erwin lui avait indiqué la première étagère sur sa droite. A travers ses portes vitrées, Livaï y découvrit une cinquantaine de livres de toutes sortes : romans, biographies, manuels techniques, ouvrages artistiques… Lui laissant plusieurs minutes pour observer sa bibliothèque, le chef d’escouade recula contre le mur opposé. Il connaissait le gout de l’homme en face de lui pour le raffinement et la culture mais il ne s’imaginait pas que ce dernier maniait cette langue élitiste que demeure l’eldien classique. Il ignorait si la fatigue l’emportait pour de bon, si sa bienveillance avait repoussé ses limites ou si l’attachement à ce personnage et ses particularités le gagnait petit à petit, mais il repensait à son père et la ferveur qu’il employait à ouvrir les chemins de la connaissance au plus grand nombre. Ces livres anciens très rares prenaient la poussière et leur existence devait rester discrète ; ainsi le risque n’était-il pas trop grand avec un gaillard aussi fermé qu’une huître qu’était ce Livaï Ackerman. Il était encore trop tôt pour le lui confier, mais Erwin sentait qu’un jour, lui aussi serait au courant du dessein ultime du Bataillon d’Exploration.

 

 

Avec la même délicatesse utilisée lors de la manipulation du violon, le soldat ouvrit doucement la baie et fureta plusieurs tranches avec attention. Puis se raidissant, il referma un ouvrage qu’il s’apprêtait à ouvrir.

 

« Pourquoi tu me montres ça ...? Le grand seigneur éduque son rescapé dans toute sa mansuétude, c’est ça ?  »

 

Emprunt d’un doute, il voulait s’assurer que l’autre homme soit dans une démarche respectueuse vis-à-vis de son origine sociale. Sa condition de citoyen de seconde zone et le rejet de la société avait en grande partie favorisé sa méfiance.

 

« Encore et toujours sur la défensive. Je te les montre précisément parce que s’il y a une personne à même ici de les apprécier à leur juste valeur, c’est encore toi. »

 

En guise de réponse, il le regardait avec défiance, le reflet de la lampe à huile vacillant dans ses yeux bleus. Erwin soupira et sortit à son tour plusieurs livres qu’il exposa sur le buffet. Il continua :

 

« Cesse de me voir comme un fils de bonne famille qui te regarde de haut, je suis issu d’une famille d’enseignants et ces ouvrages leurs appartenaient. Je te propose seulement d’en profiter comme le firent des générations entières avant nous. »

 

Livaï resta perplexe plusieurs secondes. Au-delà de leur sempiternelle difficulté à échanger, c’était la première fois qu’Erwin lui formulait un reproche personnel vis-à-vis de leur relation et l’opinion qu’il lui portait. « Cesse de me voir» entendait-il encore. Et puis ce ton nouveau, qui lui proposait quelque chose et d’en profiter en dehors de tous ses devoirs de soldats. Aucuns ordres ou conseils n’étaient ici déguisés et sa voix s’était faite plus tendre, plus détachée qu’à l’accoutumée .

 

Erwin sentit lui aussi la différence s’installer en quelques secondes et voilà que leurs regards se croisèrent, dans une gêne tout à fait inédite. Ils comprirent alors que cette tonalité étrange qui les perturbaient semblait être celle d’un début d’amitié .

 

Convaincu de sa bonne foi, Livaï consentit à émettre un très fin sourire au coin de sa bouche en soupirant à son tour puis sélectionna trois ouvrages :

 

« Allez je t'en prends deux ou trois sinon tu vas chialer jusqu’à demain »

 

« … ça t’arracherait la bouche hein ?  »

 

«  […] Merci. Erwin. »

 

« Santa Maria …! Une politesse et mon prénom en bonus, je vais jamais m’en remettre ! »

 

Le plus jeune avait sursauté lorsque son supérieur s’était exclamé ainsi, avec ce même visage illuminé et énergique qu’il arborait quelques fois avec Mike pour le taquiner. Décidemment, quel drôle d’homme. Livaï émit un lugubre et caverneux « ah ah » pour souligner la stupidité de son humour puis ferma la bibliothèque avec la petite clé avant de la jeter sur le lit d’Erwin. Il accompagna son geste, méprisant :

 

«  Allez tu me fatigues. »

 

« C’est bête ce que tu viens de faire.. »

 

Interloqué, Livaï regarda Erwin partir puis revenir avec la clé, qu’il reposa sur le buffet.

 

« Garde là, je ne l’ouvre plus depuis longtemps. Tu n’auras qu’à toquer ou demander à Hanji si je suis absent pour en lire d’autres. »

 

Livaï hésita plusieurs secondes, la main suspendue au-dessus de la clé, avant de s’en saisir, dubitatif :

 

« Hmm. Okay »

 

« … Repose toi »

 

« Ouais.. »

 

Ils se fixèrent une dernière fois dans la demi-obscurité, sachant que le moment touchait à sa fin. Ni l’un ni l’autre n’en dirait davantage, arrivant à la limite de leur interaction déjà très surprenante. Le Bonne nuit ne semblait pas prévu avant plusieurs années encore. La silhouette longiligne de Livaï disparut silencieusement dans le corridor sombre tandis qu’Erwin referma la porte, pensif et déstabilisé. Une grande animosité restait encore ancrée dans leurs rapports, prête à ressurgir au moindre malentendu ou maladresse entre les deux hommes. 

 

Les semaines qui suivirent, l’équipe entière remarqua l’affaiblissement des insultes dirigées à l’encontre d’Erwin et Livaï était régulièrement retrouvé au petit matin assoupi dans le salon, un livre différent posé sur son visage.

 

 

Les expéditions avaient repris et plus jamais l’on entendit de mélodies nocturnes. 

 

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